Motif 61 : "En particulier, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il convient de faire preuve de la plus grande prudence lorsque les mesures ou les sanctions prises sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion de questions présentant un intérêt général légitime, et donc à avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse à l’égard de telles questions (voir, en ce sens, Cour EDH, 20 mai 1999, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, CE:ECHR:1999:0520JUD002198093, § 64, ainsi que Cour EDH, 17 décembre 2004, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie, CE :ECHR :2004 :1217JUD 003334896, § 111)".
Motif 62 : "À cet égard, il y a lieu de considérer qu’un montant de dommages-intérêts d’une ampleur imprévisible ou élevée par rapport aux sommes allouées dans des affaires de diffamation comparables est de nature à avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse [voir, en ce sens, Cour EDH, 7 décembre 2010, Público – Comunicação Social, S.A. et autres c. Portugal, CE:ECHR:2010:1207JUD003932407, § 55, ainsi que Cour EDH, 15 juin 2017, Independent Newspapers (Ireland) Limited c. Irlande, CE:ECHR:2017:0615JUD002819915, §§ 84 et 85]".
Motif 63 : "En outre, eu égard au rôle fondamental de la presse dans une société démocratique et aux garanties dont elle doit disposer conformément à la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, tel est, en règle générale, le cas lorsque la condamnation consiste à accorder à la partie lésée une réparation excédant le dommage matériel ou moral réellement subi."
Motif 64: "Un tel effet dissuasif peut même résulter d’une condamnation à des sommes relativement modestes, au regard des standards appliqués dans des affaires de diffamation comparables. Tel est, en principe, le cas lorsque les sommes allouées s’avèrent substantielles par rapport aux moyens dont dispose la personne condamnée (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 février 2005, Steel et Morris c. Royaume-Uni, CE :ECHR :2005 :0215JUD 006841601, § 96), qu’il s’agisse d’un journaliste ou d’un éditeur de presse"
Motif 65 : "Par ailleurs, aux fins d’apprécier le caractère proportionné des dommages-intérêts accordés, il doit être tenu compte également des autres sanctions infligées, telles que la publication d’un démenti, une rectification ou encore une excuse formelle ainsi que les frais de justice imposés à la personne condamnée (voir, en ce sens, Cour EDH, 11 décembre 2012, Ileana Constantinescu c. Roumanie, CE:ECHR:2012:1211JUD003256304, § 49 ; Cour EDH, 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, CE:ECHR:2015:1110JUD004045407, § 152, ainsi que Cour EDH, 27 juin 2017, Ghiulfer Predescu c. Roumanie, CE:ECHR:2017:0627JUD002975109, § 61)"
Motif 67 : " En effet, une telle violation manifeste de l’article 11 de la Charte relève de l’ordre public de l’État membre requis et constitue, dès lors, le motif de refus d’exécution visé à l’article 34, point 1, du règlement no 44/2001, lu en combinaison avec l’article 45 de celui-ci".
Motif 68 : "Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, parmi lesquelles figurent non seulement les ressources des personnes condamnées mais également la gravité de leur faute et l’étendue du préjudice telles qu’elles ont été constatées dans les décisions en cause au principal, si l’exécution de ces décisions aurait pour effet, au regard des critères énoncés aux points 53 à 64 du présent arrêt, une violation manifeste des droits et libertés tels que consacrés à l’article 11 de la Charte".
Motif 69 : "À cet effet, il incombe à cette juridiction de vérifier si les dommages-intérêts accordés dans lesdites décisions s’avèrent manifestement disproportionnés par rapport à l’atteinte à la réputation en cause et risquent ainsi d’avoir un effet dissuasif dans l’État membre requis sur la couverture médiatique de questions analogues à l’avenir ou, plus généralement, sur l’exercice de la liberté de la presse, telle que consacrée à l’article 11 de la Charte".
Motif 70 : "Dans ce contexte, il convient de préciser que, si la juridiction de renvoi peut prendre en compte les sommes allouées dans l’État membre requis pour une atteinte comparable, une éventuelle divergence entre ces sommes et le montant des dommages-intérêts accordés dans lesdites décisions n’est pas, à elle seule, suffisante pour considérer, de manière automatique et sans vérifications ultérieures, que ces dommages-intérêts sont manifestement disproportionnés par rapport à l’atteinte à la réputation en cause".
Motif 73 : "Dans l’hypothèse où elle constaterait l’existence d’une violation manifeste de la liberté de la presse, cette juridiction devrait limiter le refus d’exécution desdites décisions à la partie manifestement disproportionnée, dans l’État membre requis, des dommages-intérêts alloués".
Motif 74 (et dispositif) : "Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre aux questions posées que l’article 34, paragraphe 1, et l’article 45 du règlement no 44/2001, lus conjointement avec l’article 11 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que l’exécution d’un jugement condamnant une société éditrice d’un journal et l’un de ses journalistes au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi par un club sportif et l’un des membres de son équipe médicale en raison d’une atteinte à leur réputation du fait d’une information les concernant publiée par ce journal doit être refusée pour autant qu’elle aurait pour effet une violation manifeste de la liberté de la presse, telle que consacrée à l’article 11 de la Charte et, ainsi, une atteinte à l’ordre public de l’État membre requis".